«Nous avons dégagé 12 milliards de dollars (9 milliards d'euros) pour indemniser enfin complètement des victimes, y compris les 120.000 personnes qui pourraient avoir besoin de soins médicaux toute leur vie et pour nettoyer totalement et rapidement le site de l'usine» de Bhopal. Vingt ans après la tragédie industrielle qui a tué environ 15.000 personnes en Inde, l'homme qui tient vendredi matin ces propos sur la télévision britannique BBC se présente comme un porte-parole du groupe américain Dow Chemical. Il prétend s'appeler Jude Finisterra et se dit «très, très heureux d'annoncer que, pour la première fois, Dow Chemical acceptait l'entière responsabilité de la catastrophe de Bhopal». C'est en fait un militant du groupe The Yes Men, spécialistes du canular provocateur. Des «gens honnêtes» qui s'affublent de fausses identités pour humilier les «grandes compagnies qui font passer leurs profits avant tout» et ont le soutien de Greenpeace.
En milieu de matinée, la BBC a reconnu sur ses antennes avoir été dupée par un imposteur. Dow Chemical a de son côté démenti toute interview accordée par un représentant du groupe à la BBC. La multinationale a accompagné ce démenti d'un communiqué niant une nouvelle fois toute responsabilité dans la plus grave catastrophe de l'industrie chimique. Elle rappelle qu'Union Carbide (l'entreprise qui gérait l'usine de pesticides de Bhopal, qu'elle a rachetée en 2001) avait conclu en 1989 un accord avec les autorités indiennes et accepté de verser 470 millions de dollars d'indemnisations.
«C'est une plaisanterie cruelle qui est faite à la population de Bhopal au 20e anniversaire de la tragédie», a estimé sur place un militant de la Campagne Internationale pour la Justice, Rachna Dhingra. Mais «ils n'ont pas perdu espoir. Ils ont vu pire et ils vont voir pire. Ce n'est pas ça qui va ébranler leur confiance», a assuré un de ceux qui se battent depuis deux décennies pour obtenir des aides pour les personnes touchées. Selon les chiffres officiels, près de 800000 personnes ont été affectées, à un degré ou l'autre, par les fuites toxiques. La BBC est largement écoutée en Inde, où l'annonce pourrait avoir provoqué de faux espoirs.
Le 3 décembre 2002, pour les dix-huit ans du drame, les Yes Men avaient déjà frappé en créant un faux site internet sur Bhopal. On pouvait y lire un soi disant projet de discours dans lequel le directeur général de Dow, Michael D. Parker, expliquait pourquoi il ne voulait pas nettoyer le site encore très pollué, ni aider les victimes.