Plus c’est gros, plus ça passe, tout en donnant matière par la satire cruelle à la réflexion.
The Yes Men,
de Dan Ollmann,
Chris Smith, Sarah Price. États-Unis. 1 h 31.
Deux activistes inventifs remontés bricolent un site
Web parodique de l’OMC. L’imitation est tellement réussie que des
visiteurs distraits les invitent à prendre la parole au nom de
l’organisation, dans de très sérieux congrès sur la mondialisation. Ils
se pointent, en cravate, avec des discours bien rodés et des
accessoires de type farces et attrapes, tiennent des propos outranciers
(supprimer le vote ou redorer le blason de l’esclavage) qui ne donnent
pas cher de la démocratie et de la dignité humaine face au rouleau
compresseur libéral.
Réaction des auditoires : néant ! L’apathie
des congressistes est telle que les pires provocations font chou
blanc ; seul un public estudiantin sauve l’honneur en se révoltant
lorsque les conférenciers suggèrent, graphiques à l’appui, une méthode
de recyclage des déchets de fast-food à destination des pays les plus
pauvres.
On sait combien ceux qu’il est désormais convenu
d’appeler les « nouveaux contestataires » comptent, pour
assurer la portée de leurs actions, sur leur caractère spectaculaire et
médiatique ; le geste compte sinon plus, du moins autant que le
sens, et l’ombre protectrice de Michaël Moore en guest star (celui de
Fahrenheit 9/11, pas celui de l’OMC !) plane sur ces disciples
particulièrement allumés. La preuve par l’absurde donnée ici est
convaincante : voilà par quels gogos, prêts à tout entendre sans
broncher, est gouverné le commerce mondial. Tract altermondialiste ou
vrai-faux docu ? Cette vaste blague donnerait le frisson si le ton
n’en était pas aussi uniformément potache. On n’a pas de raison de
bouder son plaisir devant le caractère abyssal du canular, mais il vaut
mieux voir le film pour ce qu’il est, une partie émergée de l’iceberg,
et compléter sa documentation sur les Yes Men en allant visiter leur
site (theyesmen.org), notamment la « foire aux questions ».
On y comprend, par exemple, que lorsque les Yes Men annoncent tout à
trac l’autodissolution de l’OMC repentante, ou l’indemnisation attendue
par les victimes de Bhopal depuis vingt ans (obligeant la société Union
Carbide à un démenti), ils se donnent pour référent, sinon pour modèle,
le discours de Chaplin-Hynkel dans le Dictateur : prendre les
oripeaux des tyrans pour mieux dire aux foules de s’en libérer. Andy et
Mike ne sont pas des Chaplin, et ça n’excuse ni le mauvais goût, ni les
faux espoirs, ni les limites d’une action qui ne distingue plus entre
le ludique et le politique. Mais il faut admettre que la cruauté de la
satire est à la mesure de la violence.
J. R.
The Yes Men sest vraiment sorti le 1er avril.