Les frasques des artistes activistes

Ils s’appellent Reverend Billy, The Yes Men, Voina Group, Otpor, MacGhillie, MediengruppeBitnik. Ces groupes d’artistes inventent de nouvelles formes de protestation politique. Caractéristique commune : ils utilisent tous la performance pour faire passer leurs messages et interviennent généralement par surprise : dans les médias et les colloques (The Yes Men), dans les commerces et les banques (Reverend Billy) ou dans la rue, les supermarchés et les musées (Voina Group).

Exorcisme d'une grande banque suisse

En anglais on appelle ça « culture jamming », c’est-à-dire du « sabotage culturel ». Des farces ou des canulars qui interrompent le cours normal des choses. Dans le but de pointer du doigt ce que ces activistes radicaux perçoivent comme des dysfonctionnements de la société capitaliste. Et de faire réfléchir à d’autres possibilités de vivre ensemble.

« Hypnose consumériste »

Prenez Reverend Billy par exemple. Cet acteur américain – Bill Talen de son vrai nom – campe depuis la fin des années nonante un prêcheur de rue aux allures d’Elvis. Cet apôtre de la décroissance a d’abord prêché seul à Times Square. Puis une « église » s’est formée autour de lui : 40 choristes et des musiciens réunis aujourd’hui sous le nom de « Church of stop shopping ».

Le groupe et son charismatique meneur se produisent dans le monde entier. En rejouant des rites religieux (prières, chants, exorcismes, …) dans des magasins, des restaurants ou des banques, le groupe - qui se dit post-religieux – cherche à «tirer les gens or de leur hypnose consumériste», à «réanimer les choses et les gens » pour qu’ils «redeviennent des citoyens ». Depuis quelques années, Reverend Billy s’engage également contre le réchauffement climatique.

The Yes Men partage la même vision du capitalisme : un système, qui en s’immisçant dans tous les domaines de la vie, fait de l’homme un pion, un instrument au service d’une grande idée : la libéralisation à tout crin de l’économie (voir le film « The Yes Men fix the world »). Pour déstabiliser ce système, The Yes Men utilisent une de ses armes les plus redoutables : le marketing. En imitant les sites internet de grandes entreprises ou d’institutions, le duo new-yorkais parvient à se faire passer pour des représentants de celles-ci.

The Yes MenInvités à des conférences ou dans les médias, Mike Bonanno et Andy Bichlbaum (noms d’artistes) y diffusent des canulars ou des idées loufoques qui ridiculisent ou tournent à l’absurde les objectifs poursuivis par ces entreprises ou ces institutions. Leur coups le plus célèbre: une interview en direct sur la BBC lors de laquelle « The Yes Men » annoncent que la société Dow Chemicals assume enfin la responsabilité du drame de Bophal. Un mensonge vite démenti, mais qui a fait chuter l’action de ce géant de l’industrie chimique. Et surtout le grand public a appris que les responsables de la plus importante catastrophe chimique de l’histoire n’ont toujours rien fait pour réparer les dégâts et indemniser les victimes.

Pénis géant

Le groupe russe Voina vise également le capitalisme sauvage mais il s’attaque surtout aux responsables religieux et politiques, Vladimir Poutine et son Etat policier en tête. Par des actions crues et souvent sulfureuses, le groupe structuré autour de

Oleg Vorotnikov, Natalia Sokol et Leonid Nikolaïev dénoncent l’absence de démocratie et la violence du système répressif en Russie. Pendaison d’un immigré, d’un juif et d’un homosexuel dans un supermarché ; lancé de chats affamés dans un Mac Donald ; partouze dans une salle du Musée national de biologie à la veille de l’élection de Medvedev. Le ton est grave, mais là aussi on sourit souvent. En particulier lorsque Voina, qui signifie « guerre «  en russe, peint un pénis géant sur le pont Liteïny à Saint-Petersbourg, un pont-levis qui se dresse en face du siège des services secrets russes. Une puissante insulte au pouvoir, qui a étonnamment valu à Voinale Prix d’art contemporain 2011 décerné par le Ministère russe de la culture! Reste que les membres du groupe sont régulièrement inquiétés par les autorités. Oleg Vorotnikov et Natalia Sokol vivent actuellement cachés et ne peuvent plus sortir de Russie car ils font l’objet d’un mandat d’arrêt international.

Tous ces artistes agissent seuls, ils ne sont pas liés à des organisations politiques officielles. Ils se mettent par contre au service de certains mouvements. Reverend Billy est par exemple est souvent intervenu aux côtés « des insurgés » d’Occupy Wall Street. Dûment filmées, les interventions de ces activistes sont par ailleurs toutes diffusées sur internet et atteignent ainsi un large public.

L’héritage de Dada

Trois de ces groupes – Reverend Billy, The Yes Men et Voina - ont été invités dernièrement à Zurich par Philipp Meier, le directeur du Cabaret Voltaire. Cette institution, sise dans le bâtiment où a été fondé le mouvement Dada en 1916, a pour mission de faire vivre son héritage. Phillipp Meier estime que ces « activistes créatifs » s’inscrivent dans la lignée de Dada. Il a donc décidé de faire du Cabaret Voltaire

Un lieu de rencontre et d’échange pour ces artistes.

« The Revolution to Smash Global Capitalism », tel est le nom de l’exposition que le Cabaret Voltaire vient de consacrer à leur travail. Une révolution que Philipp Meier définit de la sorte : « une protestation artistique et non-violente contre le capitalisme et pour une réforme ou un dépassement du capitalisme ». Le révolutionnaire est ici un farceur, un saboteur, un arnaqueur plutôt qu’un combattant. Et dans ce combat, l’humour joue un rôle important.

« Le capitalisme vacille », résume Philipp Meier, « c’est aux artistes de lui donner un petit coup pour qu’il s’effondre ! » Et qu’est-ce qui viendra après ? « L’anarchie ! Non, je ne sais pas. Vraisemblablement, un autre système, que les artistes devront à nouveau combattre. Bref un perpetuum mobile ! »