ENVIRONNEMENT
13/09/2021 19:33 CEST | Actualisé 14/09/2021 10:47 CEST

Total à l'origine du pire projet de greenwashing ? Pourquoi une ONG a lancé ce piège

Un compte Twitter et un site internet prétendant être affiliés à Total ont berné de nombreuses organisations écologistes en annonçant un transfert d'animaux d'Afrique en France.

RéHabitat
Selon le canular, des éléphants des steppes de Wembere seraient transportés de l'Ouganda jusqu'au lac du Bourget.

ENVIRONNEMENT -  C’est l’histoire d’une annonce qui a fait l’effet d’une bombe et qui a berné de nombreuses organisations. Lundi 13 septembre, un compte Twitter, lancé au mois de juillet, annonce que via un programme intitulé “RéHabitat”, TotalEnergies va transporter des animaux d’Afrique, menacés par un projet de pipeline, pour les introduire en France afin de les protéger.

L’oléoduc en question est un projet initié par plusieurs entreprises dont Total, et prévoit de relier les champs de pétrole dans l’Ouest de l’Ouganda jusqu’au port tanzanien de Tanga. Un projet titanesque, décrié par des associations écologistes à travers le monde, et qui doit s’étendre sur 1445 kilomètres, et impacter à terme 2000 km carrés de zones protégées.

Le compte Twitter également intitulé “RéHabitat” assure que la solution prévue face à ce désastre environnemental va donc être de déplacer une partie des animaux de la faune africaine en France. L’opération est presque trop folle pour être vraie, et de fait, elle s’est avérée être un vaste canular, un moyen d’attirer l’oeil sur le projet de Total. Le géant français a même été obligé de démentir officiellement l’affaire après que plusieurs ONG écologistes comme Greenpeace, se sont fait berner.

Un projet plus vrai que nature

Il faut dire que les architectes de ce canular y ont mis les moyens. À 11 heures ce lundi matin, @ReHabitatEU publie un message annonçant le fameux projet de conservation de la faune africaine, “conçu pour donner à des centaines d’espèces protégées l’opportunité d’une vie meilleure”. 

L’annonce est suivie par une fausse conférence de presse dans un grand hôtel parisien, au cours de laquelle est énoncée la proposition de transfert animalier, “neutre en carbone”. La nouvelle sème le trouble mais le compte donne rapidement nombre de détails sur l’opération à venir.

Une Arche de Noé des temps modernes

Les auteurs assurent ainsi s’être associés ”à des experts écologiques pour trouver des habitats français sûrs et durables pour la faune est-africaine”. Des “habitats frères” à l’écologie similaire aux zones humides desquelles les espèces vont être extradées.

Ainsi, des lions de la Réserve de Biharamulo se retrouveront dans les vallées du Rhône. Les éléphants de la steppe de Wembere rejoindront le lac du Bourget, et les chimpanzés de la forêt de Bugoma quant à eux atterriront au bord du lac de Sainte-Croix dans Le Verdon. 

Selon le programme “RéHabitat”, les animaux seront acheminés via un bateau digne de l’Arche de Noé. Les plans du navire sont même détaillés, comme vous pouvez le voir dans les tweets ci-dessous. L’embarcation est ainsi “zéro carbone” grâce des “voiles rétractables”, capables de pivoter pour “prendre le vent de façon optimale”.

Sur la forme, difficile de douter de la véracité du projet puisqu’il est même présenté sur un site internet reprenant tous les codes de TotalEnergie, et sur lequel figure même un communiqué.

Réaction épidermique des écologistes

Sans surprise, le projet suscite le tollé chez de nombreuses organisations écologistes. Greenpeace ou encore les Amis de la Terre FRcrient au “Greenwashing”. Il est vrai qu’un projet consistant à déplacer des animaux de leur habitat naturel pour étendre les prospections de pétrole, sous couvert du bien-être animalier, a des airs “d’écoblanchiment”.    

Le directeur de Greenpeace, fait remarquer que “plutôt que de renoncer au projet de pipeline en Ouganda, le pétrolier va relocaliser les espèces menacées par le projet... en France!”. Des internautes songent à un piratage du compte Total, quand d’autres conçoivent la possibilité d’un tel projet en invoquant les “génies de la com’”. En parallèle, certains flairent le “fake”.

Parmi les détails qui ont pu faire tiquer ces derniers, le site internet du projet est hébergé sur totalenergies.africa.com, alors que le site officiel est simplement totalenergies.com.

Surtout, le faux compte assure de manière assez curieuse que l’arrivée d’espèces africaines en France va favoriser “le développement d’un écosystème tropical fonctionnel”, et que l’hybridation des espèces améliorera “la capacité de la faune française à s’adapter au réchauffement climatique”. 

Un groupe militant américain

Pour mieux comprendre le projet en question, Le Huffpost a contacté dans l’après-midi les organisateurs. Dans un premier temps, ceux-ci maintiennent leurs propos, validant jusqu’à l’hybridation d’un éléphant et d’un porc. Mais, le géant pétrolier français finit par démentir toute implication.

Recontactées par Le HuffPost, les personnes derrière “Réhabitat” révèlent alors être affiliés au groupe militant américain Thefixersfix. L’activiste interrogée explique que “tout cela ne vient pas de Total, mais est une réponse à Total”, expliquant être en “désaccord avec les activités irresponsables de Total en Afrique de l’Est”. 

L’ONG est loin d’être la seule à mettre en avant cette “destruction écologique”. En septembre 2020, Oxfam France, dénonçait déjà le projet de Total, qui pourrait d’ailleurs exproprier au moins 12.000 familles. D’autres ONG françaises et associations ougandaises comme Les Amis de la Terre et Survie, ou Afigeo, Cred, Nape et Navoda avaient aussi assigné en 2019 le géant du pétrole à propos de cet oléoduc. 

Ce mode opératoire de mise en scène pour attirer l’attention sur un sujet environnement n’est pas une première pour Thefixersfix. En décembre 2020, ils avaient monté un canular avec pour cible la Banque d’Angleterre. Un faux communiqué de presse avait affirmé que la banque centrale était sur le point de cesser d’acheter des obligations aux sociétés pétrolières et gazières pour passer au vert. 

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